• Petit texte en vers que j'ai écrit pour participer à un concours dont le thème était "Légèreté", en 1000 mots... pas beaucoup de succès au concours, mais le texte me plaisait, alors je le pose ici

    Une lourde table en chêne, dans un jardin public.
    Un homme vient s'asseoir là. Il tient une blanche feuille:
    la pose sur le bois et la regarde, stoïque...
    Veut y mettre ses amours dont il a pris le deuil.

    Se prend la tête entre les mains. Par où va-t-il donc commencer ?
    Ferme les yeux, à la recherche des parcelles de ses souvenirs.
    Il en oublie la feuille, perdu dans ses pensées :
    Ce travail est ardu... Va-t-il y parvenir ?

    Et la brise légère soulève la feuille blanche
    qui glisse silencieusement entre les coudes de l'homme
    pour parvenir au bout de cette longue planche,
    zigzaguant au passage entre crayon et gomme.

    Là, riche de son élan, elle va prendre son envol,
    et la brise l'accompagne, l'entraînant vers un banc
    Une jeune femme y est assise : l'attrape en plein vol,
    semble lire le message invisible, posé sur le papier blanc.
    Elle est à peine entrée dans l'adolescence :
    dans un coin de la feuille, pose ses douces lèvres
    puis relâche sa prise, saisie par la violence
    de ce premier baiser, dont elle gardera la fièvre...

    La feuille, maintenant marquée de cet ovale rouge,
    reprend vite son envol, pour aller virevolter
    autour d'autres jeunes femmes et, avant qu'elles ne bougent,
    se coller à leurs lèvres, en une fougue survoltée...
    Aucune bouche ne la repousse,
    aucune dent ne veut la mordre,
    aucune voix n'appelle à la rescousse,
    aucune main ne cherche à la tordre...
    Puis, fière de ses exploits, elle décolle à nouveau
    mais semble rechercher maintenant autre chose,
    des émotions plus fortes, à un autre niveau
    que les simples baisers que ces lèvres proposent.

    La feuille, transportée par un vent plus audacieux,
    s'en va tournoyer au dessus de l'herbe tendre :
    Là, alanguie : une femme, au regard délicieux,
    et dont les yeux indiquent qu'il ne faut plus attendre...
    Alors la feuille fougueuse se colle contre ce corps :
    contact intime, le papier suit les formes souples
    et les courbes accortes, toujours avec l'accord
    de sa douce compagne d'un temporaire couple.
    Et le papier s'embrase de cette ardente fusion !
    Mais le vent de la vie en éteindra les flammes,
    séparera le couple après leur tendre union
    et la feuille qui repart maintenant vers d'autres femmes...

    Contre combien de corps se sera-t-elle frottée ?
    Et de combien d’étreintes se sera-t-elle enfuie ?
    Pourquoi se sauve-t-elle toujours d’un autre côté
    quand on veut la reprendre pour une nouvelle nuit ?
    La feuille veut rester libre, voler au grès des vents :
    Que seule la girouette décide de ses rencontres !
    Et que le moindre souffle l’enlève, dérivant,
    jusqu’à un nouveau corps, pour se coller tout contre…

    Toujours assis seul à la table, et les yeux clos,
    à la recherche, dans sa mémoire, de quelques traces
    d’un simple amour, plus qu’une passade, qui sorte du lot
    des aventures, trop vite passées, sans prendre de place…
    L’homme se souvient alors : comment s’appelait-elle ?
    Un si joli sourire, un si tendre minois.
    auprès de cette femme, a replié ses ailes
    Mais le vent de la vie le surveillait, sournois…

    La feuille va se poser auprès de cette jeune femme
    assise un peu plus loin, sur un banc, sagement,
    son regard bleu marine, empli de vague à l’âme
    laisse à tous deviner l’ampleur de ses tourments.
    Elle attend son amour, veut réchauffer son cœur
    refroidi et blessé par de viles expériences,
    retenter l'aventure, et en sortir vainqueur;
    mais, envers tous les hommes, développe une méfiance...
    La feuille, à ses côtés, va se faire aguicheuse :
    d'abord, dans ses yeux bleus, veut éponger les larmes,
    écarter de sa tête toutes idées pernicieuse
    pour enfin, peu à peu, lui faire baisser les armes :
    que ses lèvres, à nouveau, dessinent des sourires,
    que, de ses yeux d'azur, s'évacuent les brumes grises
    et que ses jambes retrouvent une envie de courir
    après cette feuille qui passe, transportée par la brise...
    Quand elle l'attrape enfin, en contemple la surface
    qui lui parait si blanche, si vierge en apparence
    mais elle croit remarquer des traces qui s'effacent :
    cherche au sein du papier, et de sa transparence.
    Elle découvre là les marques que d'autres ont laissées
    tout au long de la feuille, témoignages silencieux.
    Alors repose la feuille, et s'en retourne, blessée.
    Les nuages, à nouveau, viennent assombrir ses cieux...
    Mais la feuille voudrait tant qu’elle la reprenne, encore :
    espère un ouragan, qui la collerait contre elle ;
    mais le flot de ses larmes éloigne de ce corps
    ce radeau de papier qui a perdu ses ailes,
    et ne peut remonter ce courant qui l'écarte.
    Elle voudrait tant lui dire que pour elle, elle changera,
    se pliera à ses voeux : tous ! Pour ne pas qu'elle parte...
    Lissera sa blancheur, jamais ne se froissera...
    Alors la femme y croit : vient reprendre la feuille
    par un coin, prudemment, toujours prête à lâcher
    à la moindre incartade, prête à franchir le seuil
    sans appel s'en aller, à tout jamais fâchée...
    Mais comment résister même au plus doux zéphyr
    qui, sans difficulté, fit plier la fine page:
    toutes les promesses du monde n'auraient pas pu suffire
    à faire croire qu'il n'y aurait jamais d'autre dérapage...
    La femme relâche la feuille, sitôt prise par les vents,
    pour s'enfuir de ce parc, sans espoir de retour.
    Le papier tente, en vain, un ballet émouvant :
    l'éplorée disparaît, sans faire aucun détour...

    Alors la feuille déçue s'en va vers la fontaine.
    Dans les eaux translucides, décide de se noyer
    mais le vent de la vie séchera vite ses peines
    et vers d'autres jeunes femmes, l'enverra tournoyer...

    Puis la feuille s'en retourne à son propriétaire :
    toujours silencieusement, se repose sur la table...
    elle a bien retrouver toute sa blancheur austère
    sans garder aucune trace des amours regrettables.
    L’homme rouvre enfin les yeux lorsque décroît le jour.
    Entre ses coudes, la feuille, d’une blancheur livide,
    reflétant, dans sa vie, le poids de ses amours,
    Seul, au milieu d’un parc désespérément vide…

    ©copyright JMA

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